Spirits Meet, détail
Mellusine, détail
Te Deum Revisited, détail
She, Icarus, détail
Déclaration de l’artiste
Les reliquaires: La tradition de créer des reliquaires privés est un art ancien et un rituel féminin que partagent de nos jours des femmes de toutes cultures. La pose de symboles évocateurs, d’images et de matériaux dans une enclave, par son procès et son essence dernière, procure au créateur un havre spirituel. Dans cet espace privé, il trouve du recueillement en même temps qu’il se situe dans le devenir universel de la vie. Les images et symboles contenus dans le reliquaire procurent une nourriture spirituelle et sont un lien vers l’ordre universel éternel. Le caractère fluctuant et incertain de l’existence humaine est contenu dans le reliquaire. À l’intérieur de ce lieu stable, l’ordre se crée à partir du chaos; le mondain et le particulier sont remis dans le contexte de vérités signifiantes.
Références écclésiastiques: Mon œuvre est empreinte de l’art ecclésiastique médiéval. Ici le sacré se mêle au profane. Portes et fenêtres dévoilent des vérités spirituelles et l’architecture devient un théâtre, où l’éclairage et les hauteurs gothiques élèvent le spectateur vers le royaume spirituel. Ma première rencontre avec l’objet d’art fut celle de l’art ecclésiastique. La soudaine prise de conscience que l’homme pouvait construire des choses signifiantes m’est venue lorsque, dans mon enfance, je tombai sur un reliquaire sculpté reposant contre la verdure toute englobante des chaînes de montagne d’Autriche. Le contraste avec les images de destruction de la guerre était si fort, que le souvenir de ce reliquaire reste enraciné. Au milieu des dislocations de l’après-guerre, la structure et le cycle liturgique des églises offraient une calme uniformité : les objets d’art, les vitraux, les alcôves abritant des sculptures, les clôtures travaillées qui séparaient le spectateur de l’autel, les gravures racontant l’histoire privée des gens, les couleurs et les motifs qui ornaient les colonnes avaient tous sur moi un profond impact visuel. Je crée encore à l’intérieur de ce cadre de référence ecclésiastique. L’esprit bouddhique de mes années au Japon intègre de nouvelles images aux vieilles, en se mêlant à la vierge-muse ou au Micmac qui résidait fréquemment dans mes représentations des marais de Baie Verte, au Nouveau-Brunswick.
Lieux sacrés: Il y a douze ans je commençai à explorer la création de retables, en utilisant dans mon œuvre les matériaux de sections d’église démolies que j’avais collectionnées. Bientôt, j’achetai une église historique près de la Baie de Fundy. L’église me sert de studio et de résidence estivale. Ma rencontre il y a quinze ans avec les marais salants et les vasières de la Baie de Fundy fut rénovatrice. Ces marécages et ces vasières non entravés par les intérêts humains ont été soumis quotidiennement au cycle de nettoyage et d’entretien que leur procuraient les plus puissantes marées au monde. Ces vastes espaces me rassuraient en confirmant mon insignifiance au sein de l’ordre naturel, alors que paradoxalement, ils me renforçaient en me situant concrètement à l’intérieur de cet ordre. Les marais sont devenus pour moi un foyer d’où interpréter toutes les expériences de la vie. Ils sont en eux-mêmes des reliquaires, et au cours du processus de création je me sens contrainte de m’associer à eux.
La structure de mon œuvre et son procès dévoilent la raison et la destination d’un voyage. En créant des portails, des fenêtres et des boîtes, j’occasionne une rentrée pas à pas dans les lieux sacrés. Ces structures sont des barrières aussi bien que des ouvertures. Ils signifient la fermeture du monde réel et permettent à la fois une entrée vers un autre monde. La barrière m’oblige à marquer une pause, à réfléchir et modifier mes perceptions. Le spectateur semble vivre le même voyage. Voir que d’autres vivent ce que je concevais comme un voyage privé devient alors pour moi une récompense inattendue. Au début, je créais des collages; ces reliquaires de papier flottaient dans des boîtes qui leur servaient de cadre. La reproduction de ce rituel amena l’œuvre à évoluer au sens sculptural. Le reliquaire devint structurellement un reliquaire réel, assemblé à partir de sections d’église démolies et de mobilier, puis augmenté et progressivement embelli avec des ajouts sculptés.
Construction et déstruction: Dans mes œuvres d’art, j’impose constamment un processus de construction et de destruction. Les morceaux d’argile incuits qui embelliront mon œuvre sont fragiles et se brisent fréquemment. Quand ils sont cuits, je les soumets à davantage de bris et de reconstruction. Ma grand-mère avait une châsse-reliquaire sacrée qui renfermait les mémentos brisés recouvrés après les bombardements. À chaque visite, le cabinet était cérémonieusement ouvert, les fragments délicatement retirés et les histoires racontées à nouveau. Ma famille fouillait dans les décombres des bombardements à la recherche d’êtres chers et je semble contrainte de fouiller dans les décombres des cours de démolition pour récupérer des objets endommagés. Ces objets sont ensuite reconstruits en reliquaires dorés où je place des images sacrées. En travaillant avec des morceaux démolis et brisés, je reproduis le cycle de destruction et de reconstruction propre à la nature.